C’est quoi une “farm auction”?

Quelle journée remplie de sentiments très mêlés…

Hier, Betty me demande si nous préférons aller au ‘car race’, super couru, ou à une ‘farm auction’. Pas très convaincue par les courses de voiture, je choisis la ‘farm auction’, qui selon ma compréhension de la chose devrait être comme une vente de garage mais dans une ferme… Dan décide de rester à la ferme, s’adonner à sa nouvelle passion, le 3D printing.
Ce matin, nous partons vers 11h30 après avoir préparé des sandwichs (pourquoi pas? Il peut y avoir bcp à voir…) et monté deux chaises de jardin dans le truck (je n’ai pas demandé pourquoi). Le chemin est magnifique, entre les collines de conifères et feuillus amoureusement entrelacés et les lacs cristallins rarement défigurés par des habitations ou embarcadères. Quand nous arrivons et que j’aperçois le monde déjà présent, les énormes trucks ou remorques, les objets disposés sur le terrain et toute l’organisation, je commence tout juste à comprendre. Nous nous garons et je descends les chaises du truck en ne me posant toujours pas la question de pourquoi on aurait besoin de s’asseoir à une brocante… Puis j’aperçois un pupitre et là, je calcule toute mon ignorance en anglais, auction signifie vente aux enchères: en général, cela concerne les biens d’une personne âgée qui vient de décéder et dont la famille décide de se séparer (pas se séparer de la personne mais des biens…).

Le ciel est maussade, je commence à faire un tour entre les objets entreposés à l’extérieur, plein d’outillage d’agriculture, des planches, de l’isolant, des scies sauteuses etc… puis des dizaines et des dizaines de cartons d’à peu près tout et n’importe quoi. Puis, à l’intérieur de la maison, un étrange sentiment me prend: dans cette maison, une personne, une famille s’est construite, aimée, les membres se sont attachés autour de milliers d’objets que l’on laisse à la proie de centaines de vautours… Drôle d’image, j’aperçois sur un petit meuble de cuisine un vieux cahier A5 sur lequel est imprimé avec une police italique “autographes”, je ne peux m’empêcher d’y jeter un oeil: qqs lignes, parfois des poèmes à chaque fois écrits à l’attention d’une certaine Edith, 1946. Mon sentiment d’intrusion se renforce, je tourne dans la prochaine pièce, un grand lit en métal. Je dois sortir de cette maison, je me sens mal.

Il a commencé à pleuvoir. Nous nous protégeons tant bien que mal alors que les enchères tardent à commencer. Mieux vaut la pluie que les moustiques et les black flies, terribles en ce temps humide. Je sors mon sandwich pour me changer un peu les idées. C’est à ce moment là que j’aperçois un très beau chien, puis je lève les yeux pour observer le maître et à ma grande surprise, je crois reconnaître Wayne, notre dernier pourvoyeur de transport jusqu’à Antigonish!

Ouf, ça commence, la première vente me marque: un casque de mineur ‘who give me 100$ for this? 100? 100$ ….”avec toutes les explications sur le casque…”What about 50 on the way? 25?25? I have 25 here, I want 30, 30, who give me 30? 30? Got 30, 35? 35? I have 30 here, 35? 35? Ok 35 here, 40? I want 40, 40? Ok sold for 35 for the number 363!” Et voilà c’est parti, je plonge dans le monde de la vente aux enchères d’une ferme. Le commisseur priseur est impressionnant de rapidité, il fait toujours des commentaires rigolos sur les objets.

La pluie s’est arrêtée le soleil pointe le bout de son nez: je commence à saisir les enjeux, les différents types d’enchérisseurs. Il y a ceux qui viennent, comme une promenade du dimanche, ceux qui cherchent qqchose en particulier et repartent avec quel qu’en soit le prix, et d’autres qui repartent sans, ceux qui sont là pour jouer, s’amuser, se laisser surprendre par le contenu d’un carton, que j’appellerai CPDB (Carton Plein de Brol), et puis ceux qui sont mauvais perdants (deux gars ont fait une belle escalade en 5 min pour arriver à 320 dollards pour une scie sauteuse…). Entre les pelles rouillées et les objets dont je ne connais ni le nom ni le fonctionnement, un petit banc que je trouve mignon: ‘il est cassé mais on va essayer de s’en débarasser: qui participe pour la première fois à une vente aux enchères?’ Je lève timidement le doigt… Trois secondes plus tard je me retrouve avec un banc bringuebalant sous les pieds! Je suis comblée, même estropié mon petit banc me plaît! Je l’imagine avoir été constuit avec amour… Et oui, je peux devenir assez sentimentale avec les objets.

Je vais prendre un peu l’air pour ne pas trop penser, derrière la maison, une très belle grange avec un revêtement en bois d’époque, et un peu plus loin, s’ouvre la vue sur la vallée: au fond deux jolis petits lacs reliés par une rivère, de part et d’autre de douces collines verdoyantes, cet endroit est magique. Je m’aventure sur un petit chemin qui m’amène à une clairière, à droite, une forêt dense au milieu de laquelle un sentier sinue, et à gauche une petite taillée dans la verdure mène à une carcasse de vieille Chevrolet – comme on en voyait partout à la Havane, à laquelle est accrochée une mini caravane, charmante, abandonnée.
DSC_0004Je fais demi-tour, et croise celui que je crois être Wayne, c’est bien lui! Que le monde est petit. Il s’enquérit de notre séjour, et nous papotons 2-3 minutes avant que je rejoigne Betty. Elle est en train de poser une enchère sur deux poêles à fond épais, elle la gagne pour 22,5$: je trouve ça cher, mais elle me dit aimer les “vieilles choses”.

Le soleil tape de plus en plus fort, ce qu’il reste du gras sur la poêle est en train de fondre: encore un drôle de sentiment: quand est ce que cette poêle a servi pour la dernière fois?… Les prix m’étonnent encore, 50$ pour un appareil photo argentique+trépied+zoom+pochette, et 475$ pour un service de porcelaine blanc quelconque, ou encore 12.5 pour une bouteille en verre avec une vache dessus… Puis une table est présentée: elle contient une machine à coudre encastrée, comme d’habitude, on démarre cher et on descend doucement: 100$ – 50 – 25 – 10 – 5$… Personne ne réagit, je n’en reviens pas que cela n’intéresse pas: je demande à Betty de mettre une enchère pour moi. Avant même que je réalise ce que je viens de faire, je deviens la propriétaire de cette machine à coudre… Comment est-ce que je vais voyager avec ça???

Les heures défilent et ma patience aussi… Encore un épisode de pluie, je jongle entre ma polaire, ma veste de pluie et mon t-shirt…puis le soleil refait surface, le commissaire commence à s’agiter, quand un article ne part pas pour 5$ il en rajoute un, jusqu’à que qqn accepte de prendre tous les laissés-pour-compte + ce qu’il voulait vraiment… Les gens se retrouvent avec des combinaisons improbables: une caisse de clous rouillés, une couronne de Noël, un récipient en porcelaine et un napperon, ne me demandez pas quel objet était celui que la personne voulait vraiment… L’équipe qui montre les objets commence aussi à être mise à mal par le commisseur priseur: ‘take this one! No this one, put that here… Go my boy! Take an axe, pick a rook”… les CPDB (cartons plein de brol) commencent également à être mis en vente: Betty repart avec 5 d’entre eux, des tapis miteux et des vieux tissus… Le truck est plein à craquer, il est temps de partir: les moustiques ont commencé leur attaque. Les derniers font le tour des objets qui restent avec le commiseur priseur, je ne sais pas si j’ai bien compris, mais même le frigo et le barbecue qui servaient à la vente de hot dogs et hamburgers ont été vendu pour 5$ chacun…

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